Tullio Crali
Ses débuts
Tullio Crali (Igalo, 1910 – Milan, 2000) est l’un des rares aéropeintres futuristes à avoir témoigné de ce que fut le second futurisme avec toutes ses implications culturelles et politiques jusqu’à nos jours.
Jusqu’à l’âge de 12 ans, il vit avec sa famille à Zadar, ville italienne à l’époque, dont il conserve peu de souvenirs.
Il se souvient notamment d’avoir été impressionné par un hydravion qui avait amerri en 1919 dans la bande de mer adjacente à sa maison ; c’est peut-être à ce moment-là qu’est née sa passion pour l’aviation et que s’est décidé son destin d’aéropeintre.
En 1922, sa famille s’installe à Gorizia, ville encore marquée par la guerre.
C’est en ces termes que Crali résume son adolescence à Gorizia :
« Quand je suis arrivé de Zadar à Gorizia, la ville avait encore ses blessures, de barbelés de guerre et de douilles tels des fauves dans l’herbe. J’ai grandi parmi les cimetières de guerre, les ossements et les reliques. Mais le regard tourné vers le haut, là où planaient les avions qui ne devaient pas rouiller dans les hangars. C’est ainsi que, ne pouvant devenir pilote, je suis devenu aéropeintre futuriste. »
L’aérodrome de Merna près de Gorizia, qui n’a jamais été utilisé pendant la Première Guerre mondiale, fait partie d’un groupe d’aérodromes que la Regia Aeronautica, née en 1923, a décidé de moderniser et de rénover.
En 1931, l’aérodrome est pleinement opérationnel. Ce sont des années d’exercices continus que le jeune Tullio Crali a l’occasion d’admirer depuis la ville.
L’aéropeinture et le futurisme
Parmi les premières œuvres documentées de Tullio Crali figure la petite détrempe intitulée AEROPLANI SULLA METROPOLI, peinte en 1926 alors qu’il n’avait que 16 ans.
Le thème de la ville moderne, si cher aux futuristes, semble ici l’avoir déjà séduit, et la poussée verticale des gratte-ciel interrompue par ces nappes de brume qui traversent le ciel évoque les architectures utopiques d’Antonio Sant’Elia. Il y a ici en outre un chromatisme, une sensibilité pour la couleur vraiment raffinée qui surprend chez un peintre qui en est à ses tout débuts.
Crali commence à peindre en 1925 après avoir découvert l’existence du Futurisme dans le Mattino Illustrato de Naples.
Il s’agissait bien sûr d’œuvres inspirées par les compositions de Giacomo Balla et d’Umberto Boccioni et des autres protagonistes de l’avant-garde italienne dont il trouvait les reproductions dans les journaux.
Le tout jeune Crali, ne pouvant donc pas étudier en vrai les œuvres des Futuristes, se documente dans des revues.
Dans la revue Noi, qu’Enrico Prampolini a dirigée jusqu’en 1925, il trouve des articles dont il puise des idées et des modèles pour en tirer des œuvres très intéressantes comme, par exemple, ROMBO DI AEREO en 1927.
Une petite aquarelle clairement inspirée par les avions réels qu’il voit décoller de l’aérodrome de Merna.
Ses œuvres étaient en avance sur le Manifeste de l’aéropeinture.
En 1928, il vole pour la première fois dans un petit hydravion en Istrie et de cette expérience, il écrit ces mots :
« Cela a comblé toute mon avidité de voir, d’entendre, de savoir : la poussée du décollage, le bruit assourdissant des moteurs, l’intransigeance de l’hélice, la surprise de la suspension à cent, cinq cents, mille mètres au-dessus de la mer. L’obéissance des commandes, l’indiscipline de la bora, les vides, les cabrages, tout était merveilleux et quand je me suis retrouvé à terre, c’était comme si on m’avait volé. »
Il développe aussi très vite un talent particulier pour le dessin.
Les deux aérodessins de 1929 en sont une démonstration.
L’aérodessin de 1930, fait allusion à la traversée de l’Atlantique avec les initiales New York, placées en haut de la feuille, et le tracé de l’itinéraire suivi par l’escadron qui s’était envolé pour l’Amérique.
1928 et 1929 sont des années cruciales pour la carrière artistique de Tullio Crali.
En 1928, il rencontre en effet Sofronio Pocarini, un journaliste gorizien qui l’invite à participer à la deuxième exposition gorizienne des Beaux-Arts, qui sera sa première exposition.
En 1929, il décide d’adhérer au Futurisme et écrit une lettre à Marinetti qui lui répond « heureux de vous avoir avec nous dans la lutte futuriste ».